Les Z'horrifiques :
Qui n'aime pas les plantes n'aime pas les gens
Tout est calme à Ugly Mansion, le sombre manoir gothique des Z’horrifiques. Quasimodo Manontroppo est en congé, Dracu de Basse-Fosse et Lémura sont partis à une conférence sur les techniques meurtrières chez les scouts… Quant à Baphomette, elle ne devrait pas tarder à rentrer de ses cours au lycée Saint Néfaste. La sorcière Ganaëlle prépare une tarte aux guêpes, et Stanislas, le corpulent fantôme, se détend en lisant la rubrique nécrologique dans Ici-Ténèbres.Ganaëlle : Le secret d’une bonne tarte aux guêpes, c’est de disposer les dards de façon à ce qu’ils soient en contact direct avec le palais.
Stanislas : On annonce la mort de Pépin le Bref, dans le journal… C’est bien l’édition de cette semaine ?!
Ganaëlle et Stanislas en sont là de leurs échanges culturels, quand la porte d’entrée claque bruyamment. Baphomette, la jeune sorcière, apparaît dans le hall, la mine renfrognée.Stanislas : Houlà… Qu’est-ce qui ne va pas, Baphomette ?
Baphomette : Je sors de mon cours de droit, et je viens de m’apercevoir que je vis en pleine dictature.
Ganaëlle : Baphomette se révolte ! C’est très bien, c’est de son âge ! Moi, quand j’étais jeune, j’écrivais "Satan est cocu" partout.
Baphomette : Marraine, tonton, je ne blague pas ! Ce soir, je suis vraiment écoeurée ! Vous savez ce qu’il est écrit dans la constitution du Royaume des Ténèbres ?
Ganaëlle : Oh, euh, oui, vaguement… Mais tu sais, ça fait longtemps qu’on n’a plus potassé ça.
Baphomette : Il est écrit que tout être humain ou partiellement humain a le droit de vote, d’expression et d’opposition.
Stanislas : Oui, et alors ? Qu’est-ce qui te gêne là-dedans ? C’est très bien, ça !
Ganaëlle : Naturellement ! Ainsi, tout citoyen de toute espèce, loup-garou, femme-chat, homme-saurien ou autre, peut s’exprimer.
Baphomette : Ah ouais ? Et les plantes, dans tout ça, quand est-ce qu’elles ont rendez-vous avec le droit d’expression ?!
Stanislas : Les… Les plantes ??
Et Baphomette désigne Pantagruelle, la plante anthropophage du Manoir, qui arrive vers elle, frétillante, dans son grand pot à roulettes.Baphomette : Pantagruelle, comme toutes les plantes de son espèce, est très concernée par l’environnement. Et on l’empêche de voter !
Ganaëlle : Tu crois vraiment que ça l’intéresserait ?
Baphomette : Bien sûr ! Hein, ma petite Pantagruelle, que ça te plairait d’aller voter dans l’isoloir, pour dire un peu tout haut ce que les plantes pensent tout bas ?!
En guise d’assentiment, Pantagruelle avale Baphomette, puis la recrache.Baphomette : Faudra lui greffer une langue, pour qu’elle se contente de lécher quand elle veut montrer sa reconnaissance.
Stanislas : Le droit de vote aux plantes carnivores… Oui, c’est peut-être un nouveau pas vers le progrès social, au fond.
Baphomette : On manifestera ! Je défilerai avec elles, changée en anémone de mer. C’est ma métamorphose la plus proche du végétal.
Ganaëlle : Notre Royaume des Ténèbres doit réaffirmer son modernisme politique.
Stanislas : Certes, Ganaëlle ! C’est chez nous qu’est née l’excellente idée de faire voter les morts. Il paraît que depuis, chez les humains, plusieurs politiciens ont repris le concept.
Baphomette : Après le vote des morts, le vote des plantes ! Je serai la première suffragette à défendre la cause des herbacées carnassières.
Ganaëlle : Tout cela est clair et net, ma petite Baphomette ! Cependant, si tu me permets une question tout innocente… Comment fera notre brave Pantagruelle pour
écrire le nom du candidat qu’elle va choisir ?
A cette objection de Ganaëlle, Baphomette reste la bouche grande ouverte, les sourcils en arc de cercle, les yeux écarquillés et les narines contractées. Quant à ses oreilles, elles se mettent à bourdonner sur l’air de « j’avais pas pensé à ça ». Avez-vous remarqué que les plus grands penseurs et les plus audacieux novateurs envisagent souvent tout sauf l’essentiel ? Et c’est ainsi que plusieurs heures après, dans le Manoir des Z’horrifiques… Baphomette : Tonton Stanislas, est-ce que tu pourrais me prêter une autre plume d’oie ?
Stanislas : Encore ? Mais je t’en ai déjà prêté douze ! Tu les manges ou quoi ?
Baphomette : Non, c’est Pantagruelle qui les mange ! J’essaie de lui apprendre à les tenir entre ses dents pour écrire.
Hé oui, chers lecteurs, c’est ainsi que ça se passe, dans cette joyeuse contrée où, du nocturne matin au ténébreux soir, on se marre comme des enterrés vivants.